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Discours au Monolithe de Catherine Ségurane.

    Au risque de vous paraître iconoclaste, je poserais d’abord la question : Catherine Ségurane a-t-elle existé ? L’historien que je suis peut à juste titre en douter, Badat, chroniqueur contemporain du siège de 1543 ne l’évoque jamais. Il faudra attendre plus de cinquante ans pour qu’enfin Pastorelli parle d’elle.

     Au cours des âges, il y a eu plusieurs héroïnes, dont les plus connues sont : les Dames de Marseille en 1237, et Jeanne Hachette, qui aurait défendu Beauvais, en 1472, face à Charles le Téméraire. Ce sont toujours des femmes, car les hommes sont obligatoirement au combat, « pugnare » disaient les latins, tandis que la femme, symbole de la procréation combat uniquement pour défendre l’avenir.

     Revenons à Catherine Ségurane et à l’épisode qui se serait déroulé sur « lou bastioun de cincaire » (en architecture militaire, caire se traduit par redan et non par mur comme j’ai pu le lire) dont j’ai peine à croire que les turcs se seraient enfuis rien qu’en voyant la partie charnue de son individu, je pense plutôt qu’ils auraient redoublé d’ardeur pour la prendre (je parle de la ville évidemment). Catherine Ségurane, la légendaire Dona Maufacha (femme mal faite) ; signe des temps, aujourd’hui on aurait plutôt exhibé une sexe-symbole, genre Laetitia Casta ! Mais ces Turcs, à qui l’on attribue tous nos maux, nous avaient quand même été envoyés par notre voisin, François 1°, le roi Très Chrétien de la fille aînée de l’Eglise…

     Pour nous, Catherine Ségurane symbolise l’identité niçoise, l’héroïsme et le courage des Niçois à travers les âges. J’en donnerai quelques exemples, tout d’abord la résistance des tribus Ligures qui peuplaient la région avant notre ère, les Vesubianii, les Oratellii, les Vediatii et autres qui résistèrent deux ans aux légions romaines et dont les noms figurent sur le Trophée des Alpes comme l’appelaient les Romains Tropea Alpa Maritima et non comme je l’ai lu sur des brochures (par ailleurs excellentes) Trophée de la Turbie qui est un pléonasme !

     Plus tard, d’autres ont résisté plus longtemps, les Barbets, huit ans, face aux armées françaises. Lorsque je me promène dans les rues de Nice, je peux y lire les noms de Masséna, Bavastro, Rusca, tous les trois étant passés dans l’autre camp, Rusca le Brigasque n’ayant connu la consécration qu’en examinant les paumes de ses concitoyens (pour y déceler d’éventuelles traces de poudre) et les faire exécuter, mais nulle rue des Barbets. Dans toutes les guerres, il y a des collaborateurs (les 3 cités) et des résistants (les Barbets). On pourra me critiquer d’exécuter ainsi des gloires locales, je répondrai en citant Beaumarchais :  « Sans la liberté de blâmer il n’est point d’ éloge flatteur ».

     J’ai eu la surprise de lire dans l’édition du 30 juillet de Nice-Matin : « On monta un canon au brec d’Utelle pour tirer sur l’ennemi Sarde ». Cela, il fallait l’écrire ! Dans toutes les conventions internationales l’ennemi est celui qui envahit un état souverain. Or les traités d’Utrecht et de Rastatt de 1713 avaient reconnu les frontières de la Maison de Savoie, celui du 8 août 1720 reconnaissait le royaume de Sardaigne composé de 4 entités fédérées, la Sardaigne, le Piémont, la Savoie et le Comté de Nice.

     Donc, l’ennemi était bien les troupes françaises du général d’Anselme qui franchirent la frontière du Var, le 28 septembre 1792, avec le cortège de pillages, de viols qui s’ensuivit. L’abbé Grégoire (révolutionnaire que l’on ne peut taxer de parti pris) écrivait : « …les horreurs commises en Octobre dans le ci-devant Comté de Nice. » Taxer les Barbets de brigands et non de résistants, c’est avoir une vision jacobine de l’histoire.

     Lors de l’annexion de 1860, même si pour le centenaire on a parlé pudiquement de rattachement, mais étymologiquement pour qu’il y ait Rattachement, il eût fallu d’abord un Attachement. Serait-ce celui des Niçois à Louis XIV qui, vexé que notre duc, son neveu par alliance lui tourne le dos, a bombardé notre ville et détruit notre château ? Ou l’attachement des Niçois aux troupes révolutionnaires qui ont saccagé notre Comté.

     Historiquement il ne peut y avoir Rattachement qu’au Comté de Provence car le Comté de Nice est bien la Provence orientale  qui s’en est détachée par l’acte de Dédition du 28 septembre 1388. Les Savoyards, beaucoup moins prudes, parlent toujours d’annexion.

     Donc, lors de l’annexion, il avait été inscrit dans le traité qu’une Cour d’Appel remplacerait le Sénat de Nice créé par Charles-Emmanuel 1er le 8 mars 1614, Sénat qui a toujours fonctionné librement, rendant la justice pendant l’occupation française, en 1691 et1705 pour Louis XIV, et en 1744, lors de l’invasion des gallispans, pour l’infant d’Espagne Felipe. Or, cent quarante cinq ans après, Nice descendante glorieuse de Nikaia, fille de Massalia, cinquième ville dans les limites de la France, n’a toujours pas de Cours d’Appel, alors que des villes qui  n’étaient à l’époque que des champs de taupinières en ont une.

    O Catarina, que tu ais ou que tu n’ai point existé, peut importe car tu représentes pour nous l’héroïsme de ce peuple de Nice, Nice bafouée, Nice humiliée, Nice envahie au cours des âges, mais Nice toujours renaissante grâce à la vaillance de ses enfants, fiers de leur ville, fiers de leur Comté et fiers d’estre Nissarts !